vendredi 20 juin 2008

Fernand Léger

Une fois de plus, la Fondation Beyeler nous présente une magnifique exposition qui se tiendra jusqu’à l’automne sur ce peintre que nous pensons connaître, mais dont la peinture se révèle plus complexe quand nous la voyons étalée sur une période de presque cinquante ans. L’idée que nous nous faisons du peintre est celle d’un style figuratif librement inspiré du cubisme, reconnaissable aux formes tubulaires, aux carrés et aux cercles à travers de puissants jeux chromatiques et encore grâce aux fortes zones d’ombre et / ou de contrastes de couleurs.
Or, ce Lèger - là c’est celui des années 20 - une peinture profondément influencée par De Chirico, les surréalistes, le Picasso du « retour à l’ordre » et même le constructivisme. Il y reviendra dans les années 50, mais son art ne peut se résumer à cela. Tout d’abord, sa peinture des années 10 nous étonne, car elle reçoit des influences multiples – Picasso, bien sûr, mais aussi – et je dirai même, surtout, Robert et Sonia Delaunay, Albert Gleizes et Amédée Ozenfant.
Le « cubisme » de Léger, auquel n’est pas étranger aussi celui de Braque et de Juan Gris, et le constructivisme russe, est ainsi un creuset d’expériences, mais son style est indéniablement original et volontairement moderne. Les Disques, de 1918, inaugurent une nouvelle phase que l’on pourrait appeler géométrique et orphique, mais l’essentiel est déjà là : les structures mécaniques converties en éléments géométriques – tubes, cylindres, carrés, cercles -, et la recherche de créer un espace avec tout cela, et surtout un espace moderne, d’usines, de couleurs et de mouvement de la ville.
Fernand Léger est un peintre des villes et des espaces des villes. Le défi industriel l’attire. Il peint des hommes dans cet espace imbriqué, des hommes tubulaires, comme les usines, la production en chaîne, les gratte-ciels. L’Amérique le séduit et elle est séduite par lui. Il y réalisa sa première exposition individuelle en 1925, mais son premier voyage date de 1931.
Une nouvelle décennie s’ouvre dans la production de l’artiste. Le figuratif y revient, un figuratif stylisé, plus décoratif qu’avant, mais plus poétique aussi. Léger cherche, et il se cherche, après avoir médité Matisse (La liseuse, mère et enfant, 1922 ; La danse, 1929), et à nouveau Picasso (Les trois musiciens, 1930), et puis encore Cézanne (La femme au compotier, 1924).
Voilà peut-être la clé, Cézanne et sa réduction des objets dans l’espace aux figures géométriques primaires, à la sphère, au cylindre, au carré et au triangle. Mais la guerre et son exil forcé aux Etats Unis (il s’y trouvait quand la guerre a été déclarée), l’ont fait évoluer. Léger devient un peintre abstrait, le figuratif disparaît au profit de formes qui se profilent dans l’espace dans des couleurs très vives, jusqu’à l’effacement de la couleur comme dans la série des Plongeurs. 
De retour en France en 1946, Léger revient de nouveau à la figure, et à la méditation des « classiques ». La Partie de campagne de 1952 – 1953, une de ses œuvres les plus ambitieuses de ces dernières années, est une réflexion sur l‘insertion de la figure dans la nature, comme le Déjeuner sur l’herbe de Manet. Mais la modernité est toujours là et dans Deux femmes tenant des fleurs, de 1954, le dessin des figures est associé à des plages de couleur primaires, inscrivant des tableaux dans le tableau. Ellsworth Kelly – et avant lui Roy Lichtenstein – furent, chacun à leur façon, des artistes pionniers qui décelèrent la prodigieuse leçon de peinture de Fernand Léger. La présence des œuvres de ces artistes vis-à-vis de leur matrice inspiratrice est une des raisons de plus pour ne pas rater cette exposition.

mardi 18 mars 2008

L’ère hygiénique

J’appartiens à une génération habituée à la réflexion sur l’idéologie. De Marx à Althusser, nous en avons été gavés, si l’on peut me permettre l’expression. J’ai même eu affaire à une discipline intitulée Idéologie et mouvements idéologiques à l’époque contemporaine, dans mon cursus d’Histoire à l’Université. Donc, je suis très étonnée qu’en France et Navarre (je ne parle pas du monde anglo-saxon, car je lis de moins en moins l’Anglais), ne surgissent point des oeuvres consacrées à l’état du monde, du point de vue idéologique. Umberto Eco a réuni une série d’articles sous le titre A passo di gambero, ouvrage où il réfléchit sur cette société qui petit à petit fait des pas en arrière. Je crois aussi que le film Persépolis a plus fait pour cette prise de conscience que maintes œuvres écrites, mais il faut constater que le vide est là. Nous avons assisté à la mort de plusieurs penseurs historiques de la deuxième moitié du XXe siècle, ce qui peut-être explique cette absence de réflexion. Nous assistons aussi à un certain « retour à l’ordre » de certains philosophes et, d’une certaine façon, à la fin de la pensée contestataire.
Le « politiquement correct », donc, domine notre société. Mais qu’est-ce que c’est le politiquement correct ?... C’est d’un côté le droit à la différence (reconnaissance de toutes les minorités quelles qu’elles soient, depuis les homosexuels aux minorités linguistiques, par exemple), et d’un autre côté, le gommage des libertés individuelles décidé par un Etat tout puissant.
Dans ce contexte, nous vivons maintenant à l’ère hygiénique. Si le XIXe siècle avait rêvé de créer une société où seraient éradiqués toutes les tares des individus (telle était la tâche, parmi d’autres, des romans naturalistes), le XXe siècle a réalisé ce postulat d’une façon tragique (rappelons nous l’eugénisme qui a permis l’extermination de millions de juifs), et le XXIe siècle est en train de le mettre en oeuvre avec des axiomes idéologiques que personne ne dénonce.
Les Etats ont décidé de tout décider, depuis la santé publique à la préservation de la planète. Il n’est plus question d’individus, nous sommes bien loin du respect des libertés individuelles, il s’agit du bien collectif. Nous devons renoncer à nos désirs pour le Bonheur de la collectivité, nous devons agir pour le bien de l’Humanité, nous devons payer pour l’avenir de la Planète.
Qui décide de notre Bonheur ?... L’Etat. Qui décide de notre Bien ?... L’Etat. Qui décide de notre argent ?... L’Etat.
Je crois ne pas exagérer en déclarant que les libertés individuelles sont menacées. Comme le disait un médecin dans les colonnes du Le Monde (Docteur Micheline Benatar, 2/1/2008), « naître tue », « boire tue », « se mal nourrir tue », en ajoutant : « Quand nous garantira-t-elle [la Loi], et pour notre bien, des menus diététiques dont les composants seront garantis non génétiquement modifiés et – sur demande – traçables ? Quand nous garantira-elle par ces repas – sans sel, sans alcool ni graisses mélangées – une tension artérielle stable, une stabilité basse du taux des triglycérides, du cholestérol et de la glycémie ? Comment tolère-t-on encore dans ces lieux publiques la présence d’hypertendus, d’obèses, parce que ces gens-là ont de toute évidence triché avec la qualité, et la quantité »…
J’ai été frappée de stupeur qu’un des articles le plus dénonciateur sur l’ère hygiénique qui s’est mise en place ait été écrit par un médecin, comme si les philosophes, les penseurs, les artistes, n’existaient plus. 
L’individu est donc cantonné à son espace privé parce que l’espace public ne lui reconnaît plus le droit à la différence. Il doit se soumettre au collectif, à ce qui a été décidé en son nom, pour sa santé et son bonheur. D’un autre côté, c’est ce même Etat qui défend le droit à la différence de certains individus, du point de vue des mœurs et des croyances (le port du foulard, par exemple), des pratiques sexuelles ou linguistiques (ces dernières étant d’une grande actualité).
Je conclus donc que les choix qui concernent notre santé, notre bonheur et la sauvegarde de la planète ont trait à la fin des sociabilités (fin de l’espace publique), au blocage des dépenses de la santé, aux enjeux stratégiques mondiaux pour les matières premières qui sont source d’énergie, au contrôle de la suprématie technologique. Qui peut encore croire à un Etat qui prône des discours écologistes et qui vend des centrales nucléaires à la Chine ?... Qui peut croire aux Etats qui détruisent les forêts pour la production d’éthanol quitte à augmenter la faim des classes moins favorisés ? (et moins favorisés c’est un euphémisme) ...
Le respect pour la nature n’est pas nouveau. Il a été un des moteurs du retour à la nature au XVIII siècle, mouvement qui déclencha une période d’intense réflexion philosophique sur le libre-arbitre et la place de l’homme dans le monde. Faut-il rappeler que les Européens furent le peuple qui, avec la conquête et l’exploitation du Nouveau Monde, ont le plus détruit la planète ?... L’industrialisation a fait le reste. Qui sont les nouveaux bourgeois bohèmes (les bobos) qui s’insurgent contre la circulation en ville ? … Les mêmes qui peuvent habiter la ville et veulent une ville propre, pour leur bien-être. Les autres, ceux qui habitent en banlieue et dans les campagnes et très souvent n’ont pas d’alternative que de se déplacer en voiture – car tous les moyens de transport publics qui n’étaient pas rentables ont disparu -, ceux-là seront les sacrifiés sur l’autel de la sauvegarde de la planète. À qui affectent les taxes d’aéroport pour la préservation de la planète ?... Aux masses, naturellement. L’oligarchie, les nouveaux riches aussi ont de plus en plus leurs petits jets privés. Et ils n’ont qu’à rire des taxes et des mesures de sécurité qui génèrent de longues heures d’attente dans les aéroports.
Pendant que l’Europe paie, que les classes moyennes européennes payent, les chinois construisent des barrages démentiels qui sont autant de périls écologiques annoncés, l’Afrique est pillée avec l’aval de régimes communistes (pour le bonheur du peuple), l’Iran poursuit son programme nucléaire, les pays de l’OPEP s’enrichissent davantage et ceux qui spéculent avec la montée de l’or noir aussi. Dubaï poursuit son rêve de devenir une Las Vegas du désert, les minorités arabes se déchirent, la Russie menace l’Europe d’un nouveau rideau de fer, Al Qaida promet de nous envoyer tous au paradis.
Qui peut croire aux discours niais ?... Qui peut croire au bonheur de la collectivité ?... Qui peut croire aux politiciens qui se préoccupent de notre santé ?... 
La seule croyance dans ce monde est que l’individu n’existe plus, qu’il est complètement assujetti à un discours idéologique dont nous avons du mal à cerner les contours. Le bonheur que l’Etat nous prône – vivre plus et vivre mieux -, ce n’est peut-être pas la longévité dont nous rêvons ni le bonheur que nous souhaitons. Les brèves de comptoir - c’est espace de sociabilité qui faisait le bonheur des Parisiens – se sont éteints avec la cigarette. Nous n’avons plus le droit à la blague. Cantonnés devant nos ordinateurs, recevant les nouvelles du monde par écran interposé, nous vivons dans un monde fictif, sur lequel les Etats déversent leurs ordonnances.
« Naître tue », mais vivre tue aussi. Surtout vivre comme l’idéologie dominante, pour utiliser un langage marxisant, veut que nous vivions : en attendant sagement, hygiéniquement, la mort. 
Jusqu’à quand accepterons-nous une vie sans ivresse ?... Sommes-nous dans la vraie vie ou dans la vie vraie ?

samedi 16 février 2008

L'action Painting à la Fondation Beyeler (suite et fin)

Bien entendu, il y a aussi Pollock – d’ailleurs, on ne pourrait pas parler d’Action Painting, ou peinture de l’action, sans l’inventeur du « dripping » et du « pouring », techniques qui consistent à appliquer la peinture sur un support placé par terre, soit en l’égouttant, soit en la déversant directement. Les deux ont été utilisées par Jackson Pollock entre 1946 et 1953, comme une sorte d’ « écriture automatique », action qui échapperait à toute élaboration préalable, dans une sorte de hasard que guideraient les impulsions du peintre, comme un « chaman » qui exécute un acte, un besoin d’accomplissement, qui lui est dicté de l’intérieur. 
Parmi les oeuvres de Pollock, au total 14, venues des Etats-Unis, d’Allemagne, d’Israël et de Suisse, la célèbre composition intitulée « Number 5 » de 1948, qui appartient à la Galerie Beyeler, de Bâle, occupe une place d’exception. D’environ 2,5 mètres de hauteur par 1,20 de large, les couches successives de matière chromatique acquièrent une musicalité due aux diverses lignes sinueuses qui traversent de partout cette composition d’une beauté spatiale sublime, en même temps légère et monumentale.
Nous signalerons encore les imposantes compositions en longueur « Number 7 » du Museum of Modern Art de New York, de 1950, et « Horizontal Composition », d’environ 1949, du Israël Museum, ou encore les œuvres plus graphiques des débuts des années 50, exécutées en résine synthétique sur toile. Cependant, notre préférence va toujours aux compositions de la fin des années 40, comme « Rhytmical Dance », de 1948 (Sotheby’s), ou encore « Out of the Web, Number 7, 1949 », de la Staatsgalerie de Stuttgart.
S’ensuivent des artistes directement influencés par Pollock, comme Lee Krasner, qu’il épousa en 1945, Wilhelm De Kooning, Asger Jorn, Karel Appell, Kazuo Shiraga et Gerhard Hoehme. Bien évidemment, ce ne sont là que des vues d’ensemble, car chaque artiste possède sa propre façon d’exprimer sa gestualité. Asger Jorn, fondateur de l’Internationale Situationniste et du groupe Cobra, avec Karel Appell, héritent aussi de De Kooning, avec une plus grande violence dans leur expression tourmenté des couleurs primaires, qui se détachent avec vivacité des supports. Quant à Kazuo Shiraga, fondateur, en 1954, du groupe « Gutai » au Japon, ses compositions atteignent une monumentalité et une beauté intemporelle comparables à celles de Pollock, avec des traits plus larges et plus inachevés (plus « concrets », par ainsi dire). Plus déroutante encore, la peinture de Gerhard Hoehme semble défier la réalité même de la peinture, ses frontières, sa spatialité. Il influença notamment le graphisme de Cy Twombly, même si celui-ci pense le support surtout par rapport aux jeux de lumière.
En effet, dans son graphisme épuré, Cy Twombly appartiendrait églement au groupe des artistes qui, comme Clyford Still, Franz Kline ou Pierre Soulages, pensent la couleur autrement. Le premier par de grands aplats de couleur où jaillit la lumière, le deuxième par de larges traces de couleurs qui se confondent souvent avec un certain graphisme par le recours aux contrastes de noir et blanc, le troisième par la recherche lumineuse associé au noir. Quant à Morris Louis, il cherche à laisser définitivement l’empreinte de la couleur sur le support, au point de ne pas différencier matière/support.
Wilhelm Nay, simultanément héritier de Kandinski et de Matisse, fut un des prémiers artistes modernes reconnus après la deuxième Guerre Mondial en Allemagne. Sa gestualité s’affirmant par des cercles de couleurs primaires (Scheibenbilder), il rejoint l’univers de Sam Francis, avec ses drippings et ses taches colorés, et de Norman Bluhm. Ce dernier, un artiste américain peu connu, a recours à une technique où de fins écoulements de peinture parmi de larges traits de couleur dessinent un univers abstrait d’une grande qualité poétique. 
Eva Hesse et Helen Frankenthaler occupent une place à part. La première, morte jeune, aurait sans doute rejoint les recherches de Gerard Hoeme sur les limites spatiales et les frontières entre la peinture et la sculpture. Ses compositions des années 60 établissent des passages entre la peinture gestuelle et le figuratif, dans un univers où les « décollages » laissent des empreintes génératrices de valeurs spatiales. Helen Frankenthaler, épouse de Robert Motherwell et élève de Hans Hoffmann, a, quant à elle, réussi à créer un univers féminin à partir des « drippings » de Pollock, en y ajoutant un travail tout en finesse, par de longs aplats de couleurs très diluées. Ses compositions, héritières de l’écriture automatique des surréalistes et de l’abstractionnisme d’un Kandinsky, resserrent un univers très original, d’une grande fluidité et d’un puissant lyrisme. 
Je vous l’ai dit : Bâle est une ville qui semble s’endormir auprès des eaux tranquilles du Rhin. Or, dans cet écoulement paisible du temps, des univers cachés se présentent à nous, des sédiments d’interrogations humaines s’y dégagent. La recherche de la Beauté, comme un fleuve que traverse un paysage, est un de ces secrets-là, qui nous dévoile la Fondation Beyeler. 

jeudi 14 février 2008

L'action Painting à la Fondation Beyeler (2)

C’est une exposition remarquable à plusieurs points de vue : d’abord, elle ne vise guère le succès auprès du public, fait qui est assez rare de nos jours. Ensuite, elle n’est pas conçue sous un abordage historique, et donc elle n’a pas comme objectif le mouvement de l’Action Painting aux Etats-unis, pays où il s’affirma, mais l’émancipation majeure de l’art par la gestualité dont il fut pionnier. De ce fait, l’exposition de Bâle aborde l’émancipation ultime de la peinture pour se concentrer sur la création en tant que finalité en soi, libérée des a priori de valeurs esthétiques. 
L’exposition présente ainsi une sélection tout à fait extraordinaire de ce que l’on pourrait nommer la peinture abstraite gestuelle, malgré toutes les différences qui séparent l’œuvre d’un Soulages et d’un Pollock. Cette sorte de rapprochements, sur lequel réside toute la beauté de l’exposition, repose sur des critères tout à fait subjectifs. Cependant, les choix opérés ne pourraient pas êtres réalisés sans avoir une grande connaissance de l’art après la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes, donc, en présence d’une exposition de connaisseurs qui nous font partager la découverte de la beauté abstraite du geste, de sa capacité à émouvoir. De ce point de vue, c’est une exposition qui fera date.
Geste, expression, couleur – ou mouvement (dripping, pouring), couleur, ou encore, beauté informelle de la couleur posée (ou pensée), sur un support, tels sont les défis de l’art de l’après l’horreur, peut-être pour dire ce que l’on ne peut pas nommer, comme Fautrier, ou pour le dire d’une façon radicale, comme Wolls ou Pollock, ou encore De Kooning. Ou, tout simplement, pour le dire autrement, comme Hoffmann, Arshile Gorky, Sam Francis. Ou, aussi, pour le penser autrement, comme Hans Hartung, Cy Twombly et Clyfford Still.
En lisant ces noms, nous visualisons les tableaux de chaque artiste et nous pensons évidemment à des « écritures », si l’on peut dire, différentes, car chaque artiste a sa façon à lui de s’exprimer. Mais nous pouvons aussi déceler quelques tendances : les uns plus attachés au résultat des accumulations d’empreintes (textures) de différentes matières de couleurs les autres (Fautrier, Wolls, Pollock, Hartung, Kazuo Shiraga, Gerard Hoehme, Eva Hesse) ; les autres (Hoffmann, Joan Mitchell, Sam Francis, A. Gorky…) plus portés vers le mélange hasardeux de la couleur ; ou d’autres, enfin, plutôt intéressés par les effets de lumière associés à l’empreinte de la couleur (Cy Twombly, Ernst Wilhelm Nay, Pierre Soulages). 
En dehors de cela, et de la beauté qui naît de l’informe - geste, empreinte, couleur, ligne, mouvement -, il nous reste à admirer les oeuvres dans son ensemble. De Jean Fautrier, des tableaux des années 20 aux années 40, dont un de la série Otages, appartenant à une collection privée, nous laissent entrevoir son univers onirique construit sur une superposition de traits et de couleurs. D’Arshille Gorky, quatre tableaux venus des Etats-Unis, ainsi qu’une œuvre intitulée Last Painting, de la collection Thyssen-Bornemisza (Madrid) illustrent le procédé inverse, cela veut dire, une dilution de la couleur pour créer des plages d’ombre et de lumière, dans une « écriture » libre et expressive. Dans le même courant, Hans Hoffmann, avec quatre tableaux venus de New York et de Toronto, crée un univers plus soutenu, plus coloré aussi, dans une gestualité qui précède celle de Pollock. 
Le cas d’Hans Hartung est tout à fait exceptionnel, puisqu’il construit ses peintures à partir d’études très élaborées, réalisées au crayon sur des buts de papier et exécutées fidèlement sur la toile. Ce n’est que vers les années 60 qu’il accomplit une vraie démarche gestuelle. Passons à Otto Wols : rien de moins qu’un ensemble de six tableaux, et quels tableaux !!!... Des œuvres venues d’Allemagne, des Etats-Unis, de la Suisse aussi, nous révèlent un peintre exceptionnel. Musicien d’abord, puis photographe, Wols, qui était d’origine allemande, s’installa à Paris et y mena une vie que Jean-Paul Sartre qualifia d’existentialiste avant la lettre. Son univers, qui se rapproche de celui de Fautrier, a une puissance d’expression et dégage une telle émotion que, ne serait ce que pour admirer cet artiste, le déplacement à la Fondation Beyeler en vaudrait la peine. (A suivre)

vendredi 8 février 2008

L'Action Painting à la Fondation Beyeler (1)

Bâle est une ville allemande, suisse et européenne. On se demande ce que je veux dire par là. Et bien, tout et rien. Je flâne comme les artistes du XIXe siècle. Je flâne avec les images et les idées. Les images : un fleuve que l’on décrirait tranquille si ce n’était pas ses dangereux courants, une cathédrale imposante, des églises, des façades peintes dans la tradition du XVIe siècle, des places qui s’imbriquent, des maisons avec des cours, un musée abritant des trésors endormis. Les idées : une ville imprégnée de culture allemande qui a rejoint la confédération suisse en 1501, d’une importance cruciale dans la divulgation de l’Humanisme en Europe avec l’invention de l’imprimerie. De par ce fait, une ville éminemment européenne, donc. Mais avant cette période cruciale pour la divulgation et le débat des idées qui ont bâti notre identité culturelle, Bâle appartenait déjà à cette famille européenne dans sa qualité de tampon des contrées germaniques, l’ancienne ville romaine faisant partie du « limes », frontière, romaine. C’est donc un sédiment de cultures que la ville nous offre, une ville qui a un charme suranné, et que nous avons du mal à apprivoiser. De l’Allemagne, elle possède son sens d’organisation, sa faculté à se présenter efficace et rationnelle dans ses choix, qui vont naturellement d’un centre ville destiné aux piétons à son réseau de tramways, des derniers défis d’un savoir vivre écologique aux mutations de l’économie urbaine. De la Suisse, elle possède tout naturellement aussi le sens de l’ordre et de l’austérité apparente qui la gouverne, sans penser aux mondanités frivoles. De l’Europe enfin, elle possède la culture, une culture pas voyante, mais calme et ordonnée.
C’est dans ce contexte culturel que la ville possède un petit bijou, la Fondation Beyeler, à Riehen. Un bijou d’architecture, d’abord, dont l’auteur est Renzo Piano. Quand on est habitué aux formes généreuses et imaginatives de cet architecte, on est étonné par la rigueur de son bâtiment, son intimité aussi, dans une parcelle de terrain un peu ingrate qui l’a obligé à concentrer la lumière de l’édifice vers deux façades qui se prolongent d’un côté et de l’autre vers le jardin, tout en essayant d’oublier les deux autres parois, une d’elles aveugle, du musée, lequel cependant s’offre à nous comme un petit temple au milieu de la nature. Les murs, minimalistes, en travertin, la grande baie vitrée sur le petit jardin dialoguant avec les nymphéas de Renoir, ainsi que, de l’autre côté, la pente tout en douceur qui s’envisage depuis les salles des expositions temporaires, offrent une harmonie qui témoigne, à en douter, du génie de l’architecte.
Dans cette sorte de paradis de quiétude fut récemment inaugurée une importante et rare exposition consacrée à l’Action Painting . Je vous l’ai dit, les eaux du Rhin ne sont tranquilles qu’en surface. (A suivre)

jeudi 17 janvier 2008

C'est une douce journée d'hiver...

Je n'ai toujours pas de nouvelles de mon éditeur. Cela devient une obsession. Mais, finalement, qu'est-ce que cela peut me faire?... Hier, j'ai passé la journée à lire des articles d'Histoire de l'art. Cela m'a fait beaucoup de plaisir, tout d'abord un article sur Lucas Cranach. Très bien écrit. L'oeuvre de l'artiste était placée dans son contexte historique. Il reçut des influences de Dürer et puis, il s'installa à la cour des Grands Electeurs de Saxe, à Wittenberg, où se déroula le reste de sa vie. Il y peignit la famille princière, les nobles et les gentils bourgeois. Puis, vint la Réforme, mais il conserva sa clientèle catholique et, surtout, son style. Ce style est un des symboles de la Renaissance allemande. En quoi consiste-t-il?... Tout d'abord, à placer dans une surface en deux dimensions l'illusion d'un espace tridimensionnel, ou dit d'une autre façon, à créer l'illusion de la perspective. Pour cela, il utilise des lignes de délimitation pour placer les figures ou des fonds de paysage ou des décors d'architecture vus d'en haut, comme si le regard plongeât dans l'espace. Puis, il s'efforce de dessiner le profil des visages de trois quarts et de montrer les personnages dans des postures différentes pour créer l'illusion du mouvement. De même pour les draperies et les gestes des mains. Finalement, il essaye de fixer avec un certain réalisme les traits des personnages portraiturés, même si, avec le temps, il aura tendance à adoucir et styliser dans des lignes sinueuses (selon la tradition gothique), les visages et les corps féminins. Dans cet espace maîtrisé, il dresse un inventaire complet des choses qui entourent les personnages dont il fait le portrait. 
C'est cet attachement au réel, lié au souci de créer un espace illusoire en trois dimensions, qui font de Cranach un artiste de la Renaissance. Les habits, les étoffes, les bijoux, les coiffures témoignent de cet apprivoisement du monde, comme une divinité qui se laisse surprendre et qui reste attaché au voyeur. Comme dans ses portraits dessinés sur le vif, où Cranach donne toute la mesure de son talent, maîtrisant d'un trait sûr et vif son modèle, captif à son insu pour l'éternité. C'est cela, le grand art.

jeudi 10 janvier 2008

Pas d'éditeur!

Mon éditeur m'a communiqué aujourd'hui que sa revue traversait une grave crise financière. Donc, il ne savait pas si mes articles pourraient continuer à être publiés.
Or, ces articles sont écrits sans aucune compensation financière. Donc, pas d'éditeur, pas de changement de situation du point de vue économique de mon côté.  
C'était sans compter sans la fierté de l'écrivain. Comment vais-je me passer sans l'écriture de ces articles que j'ai tant de mal à écrire, qui me provoquent tant d'anxiété, mais sans lesquels ma vie n'aura plus de sens?...
Etant nulle pour des opérations via le net, ce fut avec une grande souffrance que je me vis créer un blog, lequel, d'ailleurs, je ne sais pas si un jour fonctionnera correctement. Je suis donc à mon premier essai.
Pas d'éditeur!, c'est ainsi  mon cri de rage contre la crise d'édition et la crise de divulgation de la presse écrite, notamment des revues crées par quelques personnes autour d'un concept, ou d'une idée, avec la collaboration des êtres de bonne volonté, mais que, finalement, rendent leur âme. 
Il reste donc la blogosphère. Pour dire quoi? Peut-on dire les mêmes choses qui normalement s'adresse à un public imaginaire qui feuillette et lis les pages d'une revue?...
Je l'ignore. Mais je ne peux pas me passer de mes écrits...
Drogue ou simple habitude?... En tout cas, cela ne coûte rien d'essayer...