jeudi 14 février 2008

L'action Painting à la Fondation Beyeler (2)

C’est une exposition remarquable à plusieurs points de vue : d’abord, elle ne vise guère le succès auprès du public, fait qui est assez rare de nos jours. Ensuite, elle n’est pas conçue sous un abordage historique, et donc elle n’a pas comme objectif le mouvement de l’Action Painting aux Etats-unis, pays où il s’affirma, mais l’émancipation majeure de l’art par la gestualité dont il fut pionnier. De ce fait, l’exposition de Bâle aborde l’émancipation ultime de la peinture pour se concentrer sur la création en tant que finalité en soi, libérée des a priori de valeurs esthétiques. 
L’exposition présente ainsi une sélection tout à fait extraordinaire de ce que l’on pourrait nommer la peinture abstraite gestuelle, malgré toutes les différences qui séparent l’œuvre d’un Soulages et d’un Pollock. Cette sorte de rapprochements, sur lequel réside toute la beauté de l’exposition, repose sur des critères tout à fait subjectifs. Cependant, les choix opérés ne pourraient pas êtres réalisés sans avoir une grande connaissance de l’art après la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes, donc, en présence d’une exposition de connaisseurs qui nous font partager la découverte de la beauté abstraite du geste, de sa capacité à émouvoir. De ce point de vue, c’est une exposition qui fera date.
Geste, expression, couleur – ou mouvement (dripping, pouring), couleur, ou encore, beauté informelle de la couleur posée (ou pensée), sur un support, tels sont les défis de l’art de l’après l’horreur, peut-être pour dire ce que l’on ne peut pas nommer, comme Fautrier, ou pour le dire d’une façon radicale, comme Wolls ou Pollock, ou encore De Kooning. Ou, tout simplement, pour le dire autrement, comme Hoffmann, Arshile Gorky, Sam Francis. Ou, aussi, pour le penser autrement, comme Hans Hartung, Cy Twombly et Clyfford Still.
En lisant ces noms, nous visualisons les tableaux de chaque artiste et nous pensons évidemment à des « écritures », si l’on peut dire, différentes, car chaque artiste a sa façon à lui de s’exprimer. Mais nous pouvons aussi déceler quelques tendances : les uns plus attachés au résultat des accumulations d’empreintes (textures) de différentes matières de couleurs les autres (Fautrier, Wolls, Pollock, Hartung, Kazuo Shiraga, Gerard Hoehme, Eva Hesse) ; les autres (Hoffmann, Joan Mitchell, Sam Francis, A. Gorky…) plus portés vers le mélange hasardeux de la couleur ; ou d’autres, enfin, plutôt intéressés par les effets de lumière associés à l’empreinte de la couleur (Cy Twombly, Ernst Wilhelm Nay, Pierre Soulages). 
En dehors de cela, et de la beauté qui naît de l’informe - geste, empreinte, couleur, ligne, mouvement -, il nous reste à admirer les oeuvres dans son ensemble. De Jean Fautrier, des tableaux des années 20 aux années 40, dont un de la série Otages, appartenant à une collection privée, nous laissent entrevoir son univers onirique construit sur une superposition de traits et de couleurs. D’Arshille Gorky, quatre tableaux venus des Etats-Unis, ainsi qu’une œuvre intitulée Last Painting, de la collection Thyssen-Bornemisza (Madrid) illustrent le procédé inverse, cela veut dire, une dilution de la couleur pour créer des plages d’ombre et de lumière, dans une « écriture » libre et expressive. Dans le même courant, Hans Hoffmann, avec quatre tableaux venus de New York et de Toronto, crée un univers plus soutenu, plus coloré aussi, dans une gestualité qui précède celle de Pollock. 
Le cas d’Hans Hartung est tout à fait exceptionnel, puisqu’il construit ses peintures à partir d’études très élaborées, réalisées au crayon sur des buts de papier et exécutées fidèlement sur la toile. Ce n’est que vers les années 60 qu’il accomplit une vraie démarche gestuelle. Passons à Otto Wols : rien de moins qu’un ensemble de six tableaux, et quels tableaux !!!... Des œuvres venues d’Allemagne, des Etats-Unis, de la Suisse aussi, nous révèlent un peintre exceptionnel. Musicien d’abord, puis photographe, Wols, qui était d’origine allemande, s’installa à Paris et y mena une vie que Jean-Paul Sartre qualifia d’existentialiste avant la lettre. Son univers, qui se rapproche de celui de Fautrier, a une puissance d’expression et dégage une telle émotion que, ne serait ce que pour admirer cet artiste, le déplacement à la Fondation Beyeler en vaudrait la peine. (A suivre)

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